Ce début d’année est assez riche en réflexions et en questionnements, je dois dire. Ce que je vis en ce moment me pousse à m’interroger sur tout un tas de choses. J’ai comme un besoin viscéral de foutre un grand coup de pieds dans plein de sujets, de ne plus prendre certaines choses pour acquises. C’est donc comme ça que je me suis mise à repenser à tous ces moments où je suis amenée à rencontrer des personnes pour la première fois, que ce soit dans le domaine professionnel ou personnel. Depuis des années, j’ai pris l’habitude de faire en sorte que mon interlocuteur sache que je suis en fauteuil roulant avant la rencontre.
Je me suis demandée : Pourquoi fais-je cela ? Est-ce pour m’éviter une mauvaise réaction de la part des gens ? Est-ce pour préserver l’autre de la « surprise » et donc d’un potentiel malaise ? Je crois que je dirais un peu tout cela à la fois. Et puis, c’est une habitude que j’ai gardée avec le temps, sans m’interroger en permanence sur le pourquoi du comment je faisais cela. Sauf que ces derniers jours, je ne suis plus vraiment en phase avec cela. Bien sûr, dans certains cas, je suis obligée de me renseigner sur l’accessibilité des lieux où je dois me rendre et donc par la force des choses, mon interlocuteur a connaissance du fait que je suis en fauteuil roulant. C’est une manière indirecte de le dire, en gros.
Actuellement, je suis à la recherche d’un nouveau poste et suis donc amenée à programmer des entretiens d’embauche. La question s’est alors posée de savoir si, oui ou non, j’allais prévenir la personne qui allait me recevoir que je suis en fauteuil roulant électrique. Allez savoir pourquoi, une petite ampoule s’est allumée dans ma tête et j’ai voulu me lancer le défi de ne pas le faire. Pour précision, je connaissais déjà le lieu où auraient lieu les rendez-vous et avais la garantie que je ne rencontrerai aucune difficulté d’accès. Pour une fois, je voulais partir d’une feuille vierge, sans a priori. J’ai toujours pensé que mon handicap ne me résumait en aucun cas et que je déteste que l’on me mette dans une case. Pour cette recherche, je veux juste être une femme architecte et non plus, la femme architecte en situation de handicap. Grosse nuance, vous en conviendrez. Je crois que le plus important est de mettre en avant mes compétences.
J’ai donc pris ce défi comme une investigation personnelle. Une manière de tester un peu comment les gens gèrent le handicap à notre époque. Alors, bien sûr, une telle démarche ne va pas sans un certain nombre de questions. Voici un échantillon des questions qui ont pu me traverser l’esprit avant de passer à l’acte. Allais-je être à l’aise avec cette situation ? Est-ce que d’une certaine manière je ne me rajoutais pas une pression supplémentaire pour l’entretien ? Comment allait m’accueillir mon interlocuteur ? N’allait-il pas être mal à l’aise ou carrément faire un blocage ? Que répondrais-je s’il me demandait pourquoi je ne l’ai pas prévenu de ma situation ?
Je précise que j’ai délibérément écrit cette première partie d’article avant ces rendez-vous afin de garder une vision objective du sujet, sans être influencée par ma nouvelle expérience. Je voulais être claire avec les objectifs attendus de ce défi que je me suis lancé et ce qu’il en est réellement ressorti...
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J'ai récemment passé deux entretiens pour du travail et je vais donc vous relater ces deux expériences qui se sont révélées être très différentes l'une de l'autre.
- Expérience numéro 1 -
Je me présente à l'accueil, on m'indique que la personne va venir me chercher pour ensuite monter dans le service. C'est un homme qui se présente à moi, je lui confirme que je suis bien la personne qu'il attend. Je dois dire que son accueil a été un peu froid ou distant, je ne sais pas vraiment quel mot employer. Sans doute la surprise de ma « situation » ou peut-être tout simplement le fait de rencontrer pour la première fois une personne. Nous avons ensuite pris l'ascenseur pour nous rendre dans son bureau.
Avant le rendez-vous, j'avais envoyé mon CV comme demandé. Je précise que sur mon CV, j'indique la mention « RQTH », ce qui signifie « Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé ». Il s'avère qu'il n'avait pas pris la peine de jeter un œil à mon CV, il n'avait donc pas pris connaissance de cette information.
Une fois arrivé dans son bureau, il m'indique qu'une deuxième personne va se joindre à nous pour l'entretien. C'est une femme et pour le coup, son accueil a été beaucoup plus chaleureux. Je ne vais pas vous faire le détail de l'entretien, je vais simplement vous dire qu'aucune question ne m'a été posée au sujet de mon handicap. Il n'a simplement été question que du contenu du poste. La seule chose qui pouvait éventuellement être en lien direct était le fait que je demande si le poste nécessitait beaucoup de déplacements. C'est la seule fois où ils m'ont demandé si cela pourrait me poser des soucis ou non.
Je conclue donc cette première expérience en ayant un sentiment plutôt positif où j'ai eu l'impression que l'on s'attardait plus sur mes compétences que sur mon handicap.
- Expérience numéro 2 -
Ce deuxième rendez-vous avait lieu dans le même bâtiment, au même étage. J'ai donc également attendu dans le hall que la personne vienne me chercher. Il s'avère que c'est l'assistante de service qui est venue m'accueillir. Elle a tout de suite été très souriante et accueillante. Elle m'a fait patienter dans une salle où il était plus facile selon elle d'accéder avec le fauteuil. La personne que je devais rencontrer est ensuite arrivée. Pas de réaction particulière en me voyant mais j'ai très vite compris pourquoi. Cette fois, il ne m'avait pas été demandé mon CV avant le rendez-vous. Sauf que mon interlocutrice tenait dans sa main mon CV, j'ai su ensuite que ses collègues lui avait donné et avait même évoqué le fait qu'ils m'avaient rencontrée précédemment. Elle savait donc que je suis en fauteuil.
Encore une fois, je ne vais pas rentrer dans le détail de l'entretien. Je vais par contre évoquer de suite la partie qui répond le plus concrètement à mon investigation personnelle. La personne m'interpelle sur le fait que j'ai indiqué sur mon CV le statut RQTH, je lui indique qu'en effet je n'ai aucun complexe par rapport à cela. Elle me précise ensuite « qu'elle a déjà au sein de son service 3 « TH » (travailleurs handicapés) et qu'elle atteint un peu les limites du truc ». Assez vite, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qu'elle entend par le « truc ». Est-ce le quota ou le nombre de personnes handicapées ? Toujours est-il qu'elle m'indique que ces personnes sont souvent absentes et que cela lui cause du souci...
Arrive le moment où elle en profite pour me dire qu'elle a besoin de savoir si je serais moi-même amenée à être régulièrement absente et pour de longues périodes. Là, je suis perplexe. Je suis partagée entre lui rentrer dedans ou lui faire la réponse « politiquement correcte ». J'ai choisi la deuxième option, en lui disant que « non, je ne suis jamais absente et que je croise les doigts pour que cela soit toujours le cas ». Sauf que quelques secondes après, j'étais incapable de me concentrer sur autre chose, j'étais sous le choc qu'elle ose me poser une telle question en entretien. Je lui ai donc indiqué que « sa question était quand même délicate et que je me demandais si je lui avais répondu que oui, je serai souvent absente, aurait eu comme conséquence que je ne serais pas retenue pour le poste ». Elle s'est empressée de me répondre « qu'évidemment que non, que c'était simplement pour pouvoir maitriser son plan de charge ». Je vous laisse interpréter cette réponse comme vous le souhaitez, j'ai ma propre opinion.
La suite de l'entretien n'a pas été très productif pour moi, je ne pouvais m'empêcher de bloquer sur l'échange que l'on avait eu juste avant sur le sujet du handicap. La personne m'a raccompagnée en bas et m'a indiqué que je pouvais la recontacter si j'avais la moindre question.
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Vient maintenant le moment du bilan de cette investigation. Je dois avouer que je reste assez décontenancée par cette deuxième expérience. Je ne pensais pas que je serais confrontée à une telle discrimination lors d'un entretien. Je m'étais préparée à ce que la personne qui m'accueille soit un peu mal à l'aise au départ, qu'elle ne sache pas trop comment s'y prendre avec moi. Mais là, j'ai malheureusement pu constater que l'accueil d'une personne en situation de handicap au sein d'un service est encore trop souvent synonyme pour le manager de soucis à venir. Cette vision est extrêmement réductrice car au lieu de parler de compétences, de qualités potentielles du candidat, on s'arrête à son handicap. Encore une fois, cette éternelle habitude de mettre les choses et les gens dans des cases. Cela me déçoit beaucoup. J'avais espéré qu'en 2017, les choses auraient évolué dans ce domaine. Que le handicap ne ferait plus aussi peur, qu'il ne serait plus un frein...
Je crois que beaucoup de progrès restent à faire concernant les managers qui font passer les entretiens d'embauche. Ils devraient être davantage formé à ce genre de choses car cela nécessite une attention un peu particulière. Il est important de savoir de quelle manière aborder la question du handicap durant un entretien, sans être indiscret voire discriminant. Je pense qu'il est tout à fait normal de l'aborder, je n'ai d'ailleurs aucun souci habituellement à le faire. Mais pas comme cela a été fait lors de cet entretien. J'aimerais qu'il soit uniquement question de compétences pour un poste et non pas immédiatement des complications éventuelles que cela va engendrer pour un service ou un supérieur hiérarchique. En fait, tout simplement être reçu et évalué comme un autre candidat.
Définitivement, je trouve que la question qui m'a été posée était déplacée et discriminante. Elle n'aurait jamais dû être posée de cette manière là, aussi frontale. Je pense qu'il est tout à fait possible d'aborder les choses autrement et de manière bien plus positive et bienveillante. Par exemple, en abordant les choses particulières qui pourraient être mises en place afin d'accueillir une personne en situation de handicap dans de bonnes conditions, demander si elle a besoin d'un aménagement de ses horaires, etc... Mais en aucun cas, poser la question de la façon dont elle a été posée, en pointant du doigt que si des absences liées au handicap sont prévisibles, cela pourrait poser des difficultés...
Pour conclure, je reste quoi qu'il arrive contente d'avoir mené cette petite enquête de terrain afin de répondre à certaines de mes questions. Sur les deux expériences, une s'est quand même bien passée. Pour autant, cela me conforte toujours dans l'idée qu'il est encore essentiel de sensibiliser à ce sujet du handicap et de la prise en charge éventuelle qu'il nécessite. La question de la place d'une personne en situation de handicap au sein de la société garde plus que jamais tout son sens. De même que la question de donner le même accès aux services à tous, quelques soient leurs situations. Voila, ce sera le mot de la fin...
Et vous, qu'en pensez-vous ?
Quelle est votre opinion sur le sujet ?
Avez-vous déjà été confronté à des situations difficiles lors d'un entretien ?
N'hésitez pas à commenter et à partager car je pense qu'il n'y a que comme cela que l'on peut avoir un espoir que les mentalités évoluent et que les regards changent.
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