Je partage aujourd'hui un nouveau témoignage dans la catégorie « Raconte-moi ton histoire ». Cette fois, c'est Adéla qui partage avec nous un morceau de son histoire en nous racontant son parcours face à la maladie et surtout la grande difficulté d'avoir une maladie invisible au quotidien. Un témoignage vraiment très intéressant qui ouvre les yeux sur le fait que ce n'est pas parce que quelque chose ne se voit pas que l'on n'en souffre pas... Je vous invite à découvrir de suite son histoire ci-dessous.
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Depuis un certain temps, je ne vis pas seule. J’ai une colocataire, mais ce n’était pas mon idée, croyez-moi. Maintenant, nous nous connaissons mieux, mais ce n’était pas toujours si simple. Au début, personne ne pouvait découvrir sa vraie identité et surtout son nom. J’ai dû faire mes propres recherches pour savoir avec qui je partage vraiment ma vie. La situation avec elle est très compliquée et je n’ai même pas le droit de la virer, son contrat de bail est à durée indéterminée. Elle est avec moi en permanence, tous les jours, elle me suit à chaque pas de ma vie, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les matins sont les plus durs. Chaque matin, en ouvrant les yeux, je sais qu’elle est encore là et la journée en sa compagnie sera longue, ardue et pleine de surprises inattendues. Chaque jour est différent, parfois plus facile, parfois plus difficile. De temps en temps, elle me bouleverse tous mes plans, elle me fait souvent annuler beaucoup de rendez-vous avec mes ami(e)s, car elle préfère que je reste chez moi, dans mon lit. Assez égoïste de sa part, pas vrai ? J’ai l’impression que nous ne pouvons jamais nous mettre d’accord.
Avant de commencer à vivre avec elle, j’aimais bien dépasser mes limites et j’avais toujours beaucoup d’énergie. Maintenant, beaucoup moins. Ma colocataire me force à ralentir, il faut sans cesse faire des choix et prendre des décisions. Et je peux vous dire que pendant ces longues années de notre vie commune, elle m’a appris à faire mes choix soigneusement (si je ne veux pas les payer plus tard).
Pour être juste, il faut mentionner que ma colocataire a aussi une capacité formidable qui est de bien se cacher. Elle est invisible, tout simplement. Personne ne voit à quel point elle est ennuyante et comment elle exige que je lui prête mon attention. Personne ne voit le grand nombre de problèmes qu’elle me cause par sa présence. Et je dois dire qu’elle est très fidèle, elle ne me quittera probablement jamais.
Vous devez vous dire que ma colocataire est folle. En fait, vous n’êtes pas si loin de la vérité. En réalité, cette colocataire mystérieuse est ma maladie chronique.
Je m’appelle Adéla, j’ai 22 ans, je suis étudiante et je suis atteinte d’une maladie chronique - dysautonomie. Cette maladie affecte tout le corps car elle touche notre système nerveux autonome qui échappe à la volonté et qui contrôle tout ce qui est automatique, notamment les muscles cardiaques (rythme cardiaque), les poumons, le système digestif, les vaisseaux sanguins (pression artérielle), la vue (dilatation des pupilles), le système immunitaire, le pancréas (le taux de sucre dans le sang) etc... et cause son dysfonctionnement. Chaque cas est unique et chaque personne vivant avec la dysautonomie a des symptômes différents. J’ai aussi une tachycardie sinusale inappropriée – une forme de dysautonomie.
Je partage mon quotidien avec ma maladie pour plusieurs raisons : il s’agit d’une maladie qui ne se voit pas (comme beaucoup d’autres maladies chroniques d’ailleurs), qui est invisible et personne ne peut voir que j’ai un handicap vu que mes symptômes se manifestent plutôt à l’intérieur de mon corps. Cela pose un immense problème dans la société. Je partage mon expérience en espérant aider les personnes non diagnostiquées, mais qui se battent quotidiennement pour avoir un diagnostic officiel. J’ai décidé de raconter mon histoire parce que ma maladie reste toujours assez rare, difficile à diagnostiquer et est très peu connue entre des médecins en Europe et j’aimerais bien augmenter la conscience et la compréhension de la maladie.
J’ai beaucoup de symptômes associés à la maladie. Je vais essayer de vous les expliquer, mais ce n’est pas toujours simple de trouver les bons mots pour les décrire.
La tachycardie sinusale inappropriée fait battre mon cœur très vite, je sens mon cœur battre en permanence. Mon cœur réagit de façon inappropriée à tout ce que je fais, tout au long de la journée. Et en disant que mon cœur réagit à tout ce que je fais, je n’exagère pas. Mon rythme cardiaque s’accélère au moindre effort : en me levant, en peignant mes cheveux, en prenant ma douche, mais aussi en faisant le ménage ou en parlant et riant trop fort. Mon corps court un marathon interminable en permanence. Et si ma fréquence dépasse les bornes, mes jambes s’engourdissent et se dérobent sous moi. J’ai aussi des douleurs thoraciques, souvent appelées des « faux » infarctus. C’est comme si vous aviez un éléphant assis sur la poitrine et plein de petits couteaux à l’intérieur, à côté de votre cœur.
La fatigue permanente représente un autre symptôme de ma maladie. Ce n’est pas de la fatigue que nous ressentons après une nuit blanche. C’est une fatigue paralysante qui décharge le corps. Chaque matin, je me réveille fatiguée et vers midi, je suis prête à retourner au lit. C’est une fatigue qui m’empêche de tenir les yeux ouverts, de me concentrer et de me tenir debout. Mon énergie est très limitée, je me fatigue très vite, je n’arrive pas à marcher longtemps. Le simple fait de monter les escaliers représente un défi incroyable, parfois même impossible.
Très souvent, je réfléchis comment je pourrais mettre un nom sur mes symptômes pour que ça soit plus clair pour les gens qui s’y intéressent. Pour les états présyncopaux, j’ai une explication parfaite (ou presque). Ce symptôme est assez “marrant”. Mes ami(e)s me disent que même si je ne bois jamais de l’alcool, ils ont quand même l’impression que j’ai un taux permanent dans le sang. Est-ce que ça vous arrive parfois de vous évanouir ? Est-ce que vous vous rappelez comment vous vous êtes sentis juste avant de tomber dans les pommes ? Les oreilles qui bourdonnent, une sorte de voile noir devant les yeux, les jambes qui tremblent et se dérobent. C’est exactement ce que je ressens plusieurs fois dans la journée, surtout en me levant ou au changement de position. Il faut que je fasse attention à ne pas tomber et ne pas me blesser. Ce symptôme est causé par l’hypotension orthostatique et une mauvaise circulation sanguine, donc la partie supérieure du corps (surtout le cerveau) faiblement oxygénée. À cause de ce symptôme, je ne peux pas rester debout pendant une période prolongée.
Pour les personnes atteintes de dysautonomie, les matins sont très difficiles à gérer car nos symptômes sont pires et plus intenses au réveil. Moi, personnellement, je dois me réveiller au moins deux ou trois heures avant de partir pour avoir suffisamment le temps de prendre mes médicaments et de me lever tranquillement.
Dans mon cas, j’ai plein d’autres symptômes et ils sont assez nombreux : troubles de la mémoire et de la parole, soif excessive, des étourdissements et des vertiges, problèmes digestifs, hypersensibilité aux odeurs, troubles de la vision, faible système immunitaire, troubles de la thermorégulation, douleurs musculaires et articulaires, des engourdissements. Je fais aussi souvent des crises d’hypoglycémie (faible taux de sucre dans le sang).
Je dirais que je représente un exemple parfait d’une personne vivant avec une maladie invisible. Ma maladie ne se voit pas. En me regardant, vous ne voyez que le résultat final après plusieurs heures d’effort. J’ai l’air d’être en bonne santé. Personne ne voit que je mène un combat ingagnable contre la gravitation et surtout contre mon propre corps. Personne ne voit que mes jambes se dérobent sous moi comme si je venais de finir un marathon de cinq heures. Personne ne voit un faible taux de sucre dans le sang. Personne ne voit les douleurs musculaires et articulaires. Personne ne voit à quel point je suis épuisée. Je suis jeune, grande, et on me dit que je n’ai pas du tout l’air malade. Ils ont bien raison. Parfois, quand les gens ne me connaissent pas beaucoup, ils me demandent de les aider à porter des choses lourdes parce qu’il paraît que j’ai de la force. En réalité, je n’arrive pas à porter mes propres courses et je suis essoufflée en montant un étage par l’escalier.
Je souhaite que la société comprenne que nous pouvons être handicapé sans devoir utiliser des béquilles ou une canne blanche. J’aimerais bien que la société comprenne qu’une personne jeune prenant l’ascenseur, mais ayant l’air d’être en bonne santé, n’est pas nécessairement paresseuse. Cette personne a peut-être tout simplement des difficultés à monter les escaliers à pied à cause d’un handicap que nous ne pouvons pas voir.
Je me suis beaucoup de fois posée la question : Qu’est-ce qui est vraiment le plus difficile ? À mon avis, vivre avec un handicap ou avec une maladie n’est pas le plus dur, notre vie bascule et notre quotidien change énormément, c’est vrai, mais nous finissons par nous adapter pour pouvoir continuer à vivre. C’est l’ignorance et l’incompréhension de la part de la société qui représente un vrai handicap et un grand obstacle. Une personne malade/handicapée ayant l’air d’être en bonne santé doit se battre en permanence pour obtenir ce dont elle a besoin dans la société. Moi, je suis déjà officiellement reconnue comme personne handicapée, ce qui devrait me faciliter un peu la vie dans la société, mais il m’arrive parfois de ne pas oser sortir ma carte de priorité parce que je n’ai pas l’air malade. Avant, j’ai déjà fait face plusieurs fois aux commentaires inappropriés : « N’y pense pas, tout simplement ! », ou « Je pense que tout ça, c’est dans ta tête ! » ou bien « Tu veux pas quand même essayer de prendre les escaliers au lieu de l’ascenseur ? Essaie au moins ! » Est-ce que vous donneriez vraiment les mêmes conseils à une personne en fauteuil roulant cherchant un ascenseur pour pouvoir monter ? : « Non mais ça vaut pas la peine d’attendre ici, n’y pense pas et essaie de monter à pied ! ». Assez inopportun, vous ne trouvez pas ?
Être handicapé(e) ne signifie pas forcément être en fauteuil roulant. Je continuerai de parler de ma maladie autour de moi au maximum pour sensibiliser les gens aux handicaps et maladies invisibles. J’espère améliorer la compréhension et combattre les stéréotypes et les préjugés entourant les maladies et les handicaps qui ne se voient pas. Je veux profiter de ma situation et aider les autres, car si je ne le fais pas, qui le fera à ma place ?