Voilà un article qui me trotte dans la tête depuis plusieurs semaines maintenant. Je l'ai repoussé de la main, j'ai hésité. J'ai attendu d'être dans un meilleur état d'esprit pour l'écrire. Et puis, je me suis rendue compte qu'à trop attendre, cela me pollue l'esprit. Je prends donc tout le courage dont je dispose pour coucher les mots sur le clavier et essayer d'exprimer ce que j'ai sur le cœur.
Pour ceux qui ne me suivent pas régulièrement, je précise que je me déplace en fauteuil roulant électrique et que j'ai besoin de l'aide d'auxiliaires de vie plusieurs fois par jour pour tous les « gestes essentiels du quotidien ». Cette aide est inconditionnelle, je ne peux pas m'en passer. Je n'en suis pas capable physiquement. Cette information aura son importance dans la suite du récit.
Je souhaiterais pour commencer mettre en parallèle deux notions importantes. D'une part, le fait d'être malade et d'autre part, le fait d'être dépendant. À mes yeux, ce n'est pas du tout la même chose. Aujourd'hui, je vais surtout insister sur la notion de dépendance. Car c'est celle qui me pénalise le plus au quotidien. Récemment, j'ai fini par me faire une remarque assez surprenante : j'ai réalisé qu'il était beaucoup plus difficile pour moi de supporter la dépendance plutôt que le fait d'être malade. Surprenant, non ? Je m'explique.
J'ai appris que j'étais malade vers l'âge de onze ans environ. À l'époque, et les années qui ont suivi, j'ai cru que c'était la pire chose qui pourrait m'arriver. Je me rends compte aujourd'hui vingt ans plus tard que je me suis trompée. Parce que finalement, la maladie, elle fait partie de moi. Alors, bien sûr, je ne suis pas en train de vous dire que c'est facile tous les jours ou que je m'en fiche. C'est plutôt que j'ai appris à vivre avec. Et cette acceptation dépend de moi. Et de moi, seule.
Par contre, pour la dépendance, il en est tout autrement. Par définition, il est question de dépendre de quelqu'un. Moi, je suis dépendante de l'aide des auxiliaires de vie. Et c'est bien là le fond du problème. Oui, car problème il y a. Déjà, parce que ce n'est pas drôle d'avoir besoin de l'aide d'une tierce personne pour se lever le matin, se laver, s'habiller, etc... Mais c'est encore moins drôle quand cette aide – inconditionnelle, je le répète - dépend de personnes qui ne sont pas toujours fiables ou respectueuses. Et c'est sur ce point précis que je vais considérablement insister.
Parce qu'avoir affaire à ce type de personnes malveillantes, c'est ce que je vis depuis de longues semaines maintenant. Pour m'aider chaque jour, j'ai une équipe de trois auxiliaires de vie en journée et deux pour le coucher. Sur ces trois personnes de journée, il y en a deux avec qui cela ne se passe pas bien. D'ailleurs, l'une d'entre elles a terminé son contrat chez moi hier. Une de moins, donc. Après un an et demi où tout se passait à merveille, elle a fini par péter un plomb un lundi matin. Avec le recul, je crois que c'était juste un prétexte pour partir et mettre fin à son contrat (au lieu de simplement me dire « Élodie, pour telle ou telle raison, je souhaite arrêter d'intervenir. Plus simple, non ?). Ce jour là, elle est partie en me laissant seule dans la douche (alors que je ne peux en sortir seule et compagnie, je ne vous fais pas un dessin...) et ne s'est pas présentée à l'intervention de l'après-midi. Le lendemain, elle démissionnait. Contractuellement, elle devait un mois de préavis, qu'elle a réalisé mais je ne vous dis pas dans quelles conditions : pas un mot entre elle et moi durant un mois. Dur. Et puis aussi, il y a eu ce weekend où elle a menacé son employeur de ne pas intervenir chez moi deux jours durant. Oh joie ! Être prise en otage de la sorte, j'adore.
Durant ce mois de préavis, il a fallu lancer un recrutement pour la remplacer. Mais recruter une nouvelle personne est extrêmement long et éprouvant. Tout le monde n'est pas capable d'effectuer les prestations auprès de moi. Il faut donc prendre son mal en patience et surtout dépenser une énergie folle que normalement je devrais conserver pour d'autres choses bien plus importantes et intéressantes. Car ma maladie fait que je suis bien plus vite fatiguée que les autres. Une abonnée réagissait très justement à un de mes messages sur ma page Facebook en disant qu'on manque de force physique et d'autonomie pour certaines choses mais on doit toujours en faire PLUS juste pour essayer d'avoir une vie "normale". Je suis tout à fait d'accord avec cela. Et c'est bien épuisant !
C'est très difficile de faire rentrer des personnes dans sa vie. Dans son quotidien. Et dans son intimité, en particulier. Qu'on le veuille ou non, avoir besoin d'aide plusieurs fois par jour engendre ce genre de choses. Et malheureusement, je peux vous parler en connaissance de cause puisque sur ces dernières semaines, j'ai rencontré une dizaine de personnes en entretien, trop peu d'entre elles comprennent réellement le rôle qu'elles ont à jouer auprès d'une personne dépendante. Elles oublient notamment que chaque personne est unique et que chaque maladie/handicap est unique. Il est dangereux d'arriver dès le départ avec des idées toutes faites et de vouloir imposer ci ou ça, sous prétexte « qu'elles font comme ça, d'habitude ». Non, je regrette, je n'ai pas peur de le dire, je n'ai pas les mêmes besoins que machin truc bidule. Je suis moi et je fais ce que je peux avec ce que j'ai. Je sais que c'est à l'auxiliaire de vie de s'adapter à moi et non l'inverse.
Pourtant, dans la pratique... Bien souvent, ces personnes veulent décider à ma place, me faire des coups bas en me faisant bien comprendre que c'est elles qui décident. Qu'en gros, je dois la fermer sinon elles ne viennent plus. Mais non, c'est faux. Au final, c'est moi qui décide si oui ou non, je souhaite les garder. Sauf que se séparer de quelqu'un avec qui cela se passe vraiement mal est une décision qui implique de me mettre temporairement en danger puisqu'avant de pouvoir envoyer promener cette personne, il faut lui trouver une remplaçante. Vous voyez le serpent qui se mord la queue, ou pas ? Moi, je ne demande pas la lune, je veux juste qu'on me respecte et qu'on ne cherche pas à faire la loi dans ma propre vie. J'ai toute ma tête. Je sais ce que je veux. Mais en fait, je sais surtout ce que je ne veux pas. Ou plus. Qu'on se le dise !
♥ ♥ ♥
Malgré tout, je tiens à terminer ce billet sur une note positive. Hier soir, j'ai également du dire au revoir à la personne qui m'aidait à me coucher depuis deux ans. Elle a du arrêter à contre cœur pour raisons de santé. Et croyez-moi, c'était le bureau des pleurs pendant une heure. On était toutes les deux très émues. On s'est amusées à évoquer nos meilleurs souvenirs. Des rires, des émotions. Et surtout, du respect et de la complicité. Ces trente minutes passées avec elle le soir avant de me coucher était un joli point final à ma journée avant de dormir. Je sais aujourd'hui que c'est devenu plus qu'une aide dans mon quotidien. Ces deux ans de fiabilité à toute épreuve ont construit de solides fondations qui font que l'on aura plaisir à se revoir de temps en temps. Parce que là, tout de suite, il y a un grand vide...