Cela fait un moment que j’ai en tête de rédiger cet article, seulement je ne savais pas trop par quelle entrée je voulais aborder cette question de la douleur. Elle et moi avons malheureusement une longue histoire ensemble. Il y a eu des hauts et des (très) bas et j’aimerais réussir à poser des mots là-dessus, même si cela n’est pas facile. Globalement, la maladie m’a longtemps laissée tranquille concernant les douleurs. Je m’estimais d’ailleurs heureuse d’être épargnée de ce point de vue là. Et puis, dans une période de grandes difficultés personnelles et professionnelles, la douleur a débarqué dans ma vie sans prévenir.
Son arrivée a été violente, je crois que je n’étais pas préparée. En même temps, peut-on réellement l’être ? J’ai commencé à avoir de vives douleurs au dos et à l’épaule. Sauf que je suis parfois un peu naïve et j’ai longtemps cru que cela passerait tout seul. Sans prendre de médicaments. Alors, je serrais les dents en espérant que la douleur s’évapore comme par magie. Avec le recul, je pense que j’ai mis du temps à accepter la douleur et surtout à la comprendre. Comprendre que je n’avais pas le bon comportement face à elle. Mon médecin me répétait à chaque visite que je ne devais pas lui laisser le temps de s’installer et prendre un anti douleurs dès que je commençais à avoir mal.
Sauf que je suis un peu têtue et ces douleurs, je les ai laissées s’installer. Bien confortablement. Au point qu’au bout d’un moment, je ne pouvais plus les supporter. À chaque fois que l’auxiliaire devait me porter ou qu’on devait m’installer dans le lit le soir pour dormir, la douleur était tellement intense que les larmes me montaient automatiquement aux yeux. Ces situations étaient vraiment difficiles à vivre pour moi. Il a donc fallu me prescrire des anti douleurs plus puissants que le simple paracétamol. Cela n’a pas été une mince affaire, car la majorité de ceux que j’ai essayé ne me soulageait pas. Au bout de longues semaines de test, un seul anti douleur réussissait à apaiser mes douleurs, le Tramadol (pour ne pas le citer).
J’ai commencé à le prendre de manière régulière et importante il y a presque trois ans, je crois. J’avoue qu’à l’époque, comme c’était le seul médicament qui réduisait mes douleurs, je n’ai pas spécialement été attentive aux composants et aux effets indésirables qu’il engendrerait. Parlons en justement de ces (p*tain) d’effets indésirables. J’ai passé les premiers jours – voire sans doute les premières semaines – dans un énorme brouillard. Un brouillard qui me faisait somnoler ou carrément dormir en permanence. J’avais énormément de difficultés à me concentrer et à tenir une conversation digne de ce nom (mon homme pourrait vous en parler !). J’ai également eu des nausées et vomissements durant de longues heures interminables chaque jour. Du coup, je ne mangeais que très peu et ai donc perdu du poids. Bref, une vraie partie de plaisir ! Surtout que je devais aller travailler, malgré tout.
Les mois ont passé et c’est devenu comme une routine de prendre chaque jour ce cachet (ou plusieurs quand la douleur était trop forte). C’est devenu une habitude dans mon quotidien. Je réalise aujourd’hui que c’était une très mauvaise habitude. Parce qu’en fait, la douleur étant supprimée par le médicament, je ne pouvais plus vraiment me rendre compte si j’avais encore mal ou pas. Je le prenais, c’est tout. Ces derniers mois, mon homme ne supportait plus l’idée que je prenne ce médicament. Parce qu’il faut le savoir, le Tramadol est un dérivé de l’Opium (rien que de l’écrire, j’en tremble) et engendre une grande dépendance. Il m’incitait à l’arrêter mais je me braquais, ayant l’impression qu’il ne pouvait pas comprendre mes douleurs. Je ne voulais pas arrêter, en tout cas pas dans ces conditions. Pas parce qu’il me le demandait. Rien que l’idée d’arrêter de le prendre, je paniquais. Je paniquais rien qu’en imaginant connaître à nouveau les douleurs que j’avais pu avoir par le passé. Je réalise que ces douleurs terribles m’ont profondément traumatisée. Cela laisse des traces, assurément.
Il y a un presque trois mois de cela, j’ai eu une énorme prise de conscience et ai pris une décision importante. Je suis tombée tout à fait par hasard sur un article traitant du Tramadol et surtout des conséquences importantes qu’il avait sur l’organisme. Dépendance, difficultés pour arrêter, conséquences irréversibles sur certains organes. Et j’en passe. Une fois la lecture de l’article terminée, quelque chose s’est passé en moi et j’ai décidé que je n’en prendrai plus jamais un seul cachet. C’était plié, le soir même je n’ai pas pris le « traditionnel » comprimé avant de me coucher. J’étais déterminée mais aussi anxieuse, je dois bien l’admettre. Et si j’avais mal ? Comment allait réagir mon corps ? Allais-je y arriver ?
J’ai fait le choix de me « sevrer » (parce que c’est le mot) seule, sans en parler à personne. Pas même à mon homme. Je voulais que ce soit ma démarche, ma décision. J'ai progressivement réduit les doses, pour finalement ne plus en prendre du tout. Les premières nuits ont été épouvantables, j’ai physiquement pris conscience de ma dépendance. Mon corps souffrait de ne plus avoir sa « dose », je ne saurais vous décrire avec des mots ce qu’ai pu ressentir à l’intérieur de mon corps. Je vous assure que réaliser qu’en fait j’étais « droguée » m’a bouleversée. Je savais que ce médicament engendrait une dépendance mais je ne réalisais pas que mon corps en avait « besoin » à ce point. J’ai compensé l’arrêt du Tramadol par la prise de paracétamol pour éviter d’avoir trop mal.
Deux mois après cette décision, j’ai l’agréable (inattendue) surprise que mes douleurs ne soient pas ou très peu revenues. Cela m’a d’autant plus dégoûtée d’avoir pris cet anti douleurs durant ces années, car j’aurais peut-être pu l’arrêter plus tôt, mais ça, personne ne le sait en réalité. Toujours est-il qu’aujourd’hui, j’ai développé une crainte irrationnelle d’avoir mal. À la moindre petite douleur qui réapparaît, j’ai peur. J’ai peur qu’elle s’installe à nouveau. Parce que je sais que je ne pourrai pas reprendre d’anti douleurs puissants. Je ne veux pas. Alors désormais, je suis très attentive et très précautionneuse avec mon corps. Je prends soin de ce difficile sevrage que j’ai dû affronter et fais tout ce qu’il faut pour que les douleurs ne reviennent pas. Même si je sais que cela pourrait être le cas car le stress et les périodes de grandes difficultés créent inévitablement des douleurs importantes.
Bon, en voilà un long article. Je n’avais pas spécialement prévu d’écrire autant. Force est de constater que j’avais beaucoup de choses à dire sur le sujet... En écrivant ces lignes, je suis à la fois énervée, soulagée et fière. Énervée, parce que je ne comprends toujours pas aujourd’hui comment des médecins peuvent consciemment prescrire des médicaments ayant de telles conséquences néfastes sur l’organisme. Il y a quand même sans doute moyen d’utiliser d’autres options, non ? Mais je veux à tout prix terminer cet article sur une note positive alors je dirais surtout que je suis fière d’avoir osé franchir le cap. De l’avoir fait seule au départ, comme pour me prouver que j’en étais capable, que j’étais plus forte que la douleur.
Ces deux mois de « sevrage » m’ont fait redécouvrir que je peux être à nouveau bien plus vive d’esprit, que je peux à nouveau me concentrer sans difficulté, j’ai même redécouvert la faim (et oui, depuis de longs mois, j'avais oublié ce que c'était). J’ai bien meilleur appétit. Je n’ai plus sommeil en permanence, je suis moins irritable et plus positive. Et puis, surtout, je me sens libérée. Libérée d’un gros fardeau.