Il y a quelques temps, j'ai entendu parler d'Alexandre Jollien, écrivain et philosophe. En m'y intéressant un peu plus, très vite, j'ai été attirée par les sujets sur lesquels il avait pu écrire. Pour ceux qui n'ont jamais entendu parler de lui, il est né en 1975 en Suisse et s'est retrouvé handicapé suite à un accident à la naissance car il avait le cordon ombilical autour du cou. Ce qui a eu comme conséquences qu'il peine à coordonner ses mouvements, d'où une démarche hésitante, et qu'il parle lentement. Il a grandi dans un établissement pour personnes infirmes moteur cérébral (IMC) dans lequel il a séjourné durant dix-sept ans.
C'est donc avec grande impatience que j'ai acheté et commencé la lecture de son premier ouvrage Éloge de la faiblesse, sorti en 1999. Alexandre était alors âgé de vingt-trois ans. Cet ouvrage est un récit autobiographique, d'une vie singulière, étonnante et qui relate le cheminement d'Alexandre Jollien qui, en raison de son handicap, était destiné à rouler des cigares et qui se retrouve, au terme d'un long périple, sur les bancs de l'université à étudier la philosophie. Il s'applique à ne pas fuir le handicap et dit accepter que jamais il ne sera normal. Il va même jusqu'à dire qu'en fuyant son handicap, on s'isole. Je le cite "Il est là, il faut l'accueillir comme un cinquième membre, composer avec lui. Pour ce faire, la connaissance de ses faiblesses me semble primordiale..." Je suis entièrement d'accord avec cette façon de voir les choses. Je sais aujourd'hui que je suis plus à l'aise dans ma tête et dans mon corps depuis que j'ai accepté que la maladie fait partie de moi. Partie intégrante de ma vie. De toutes façons, je crois qu'il est impossible de lutter contre cela. Que c'est inutile. Peine perdue.
Ce livre est présenté sous forme d'un dialogue entre Alexandre Jollien et Socrate. Au début, ce principe peut surprendre, mais il faut savoir qu'Alexandre s'est intéressé à la philosophie à un moment de sa vie où il avait besoin d'améliorer le regard qu'il portait sur son corps. Pour parer aux difficultés quotidiennes, il lisait les philosophes qui devenaient pour lui des interlocuteurs privilégiés. Socrate a joué un rôle décisif. Ces lectures lui ont permis de prendre du recul sur sa propre situation. De mieux accepter son handicap. Alexandre envisage d'ailleurs la philosophie avant tout comme une interrogation libre de tout préjugé, comparable à une loupe qui grossit les traits du réel. Il choisit l'humour pour relativiser des situations parfois tragiques de l'existence.
Je vous cite un extrait de l'avant-propos qui m'a particulièrement touchée: "La philosophie, la littérature, je les considérais comme réservées à une élite, à mille lieux de mes préoccupations quotidiennes. Pourtant, un jour, accompagnant une amie dans une librairie, je suis tombé sur un petit ouvrage qui s'intitulait Philo de base. Commentant Socrate, l'auteur disait: "Chercher à vivre meilleur, tout est là." Jusqu'alors, j'avais tout fait pour m'efforcer de vivre mieux, c'est à dire améliorer mon sort et me développer physiquement. Et parmi les livres s'établissait tout-à-coup une conversion, un but était né. Vivre meilleur, prendre soin de mon âme, progresser intérieurement." Je trouve cette dernière phrase très belle et surtout très juste. Je suis convaincue que lorsque la vie nous a mis très tôt des bâtons dans les roues, quand le chemin se fait sinueux, cela apprend à relativiser. À ne pas se laisser envahir par des bêtises. Des choses futiles. Sans intérêt. Affronter des épreuves difficiles permet de savoir où placer son attention et son énergie. Sans les dépenser inutilement. Les écrits d'Alexandre Jollien vont dans ce sens et c'est ce qui me plait.
Malgré tout ce qu'il a vécu, toutes les épreuves qu'il a traversé, je trouve intéressant qu'il arrive à trouver de la joie dans chacune des situations qu'il vit. C'est une manière intelligente de ne voir que le positif dans la vie. Il me parait essentiel de ne pas se plaindre et ne pas subir sa situation. Trouver du bon dans chaque chose est bien plus constructif. Alexandre cultive la joie au cœur de l’épreuve, la joie de progresser sur les chemins hasardeux de l’existence. Il voit chaque difficulté comme l'occasion d'une aventure passionnante. Quel bon état d'esprit ! Il y a de jolies leçons à retenir dans cette lecture.
Le fait d'avoir été toute sa jeunesse dans un centre, séparé de ses parents (il ne les voyait que durant les weekends), l'a obligé à se construire seul. De faire ses propres choix, de s'endurcir par la même occasion. Aujourd'hui, il est d'ailleurs reconnaissant à ses parents de l'avoir laissé se lancer dans la vie d'adulte en étant seul. Autonome. Entendons par là, sans être dépendant de ses proches. De lui avoir laissé la possibilité de se tromper, de chuter pour mieux savoir se relever, seul. Je crois que c'est la meilleure façon d'apprendre la vie. Surtout lorsque l'on est en situation de handicap. Il cite l'exemple de ces mères, qui par amour, ne s'éloignent pas de leur enfant d'une semelle. Selon lui, l'amour peut constituer un frein au progrès. Je reste convaincue que la confiance des parents envers leur enfant reste la meilleure des formations à la vie. La confiance peut nous porter et nous donner envie de nous surpasser. Ne serait-ce que pour prouver que l'on en est capable.
Ce livre mérite vraiment que l'on parle de lui, tellement sa lecture est enrichissante. D'une douceur extrême. Je ne peux pas vous le dire autrement: ce livre m'a fait du bien. Il m'a remplie de sérénité et de calme. Chacun devrait se plonger dans ces écrits pour se ressourcer. Trouver la paix quand la vie s'applique à tenter de nous décourager.
Je suis actuellement en train de lire un autre de ses ouvrages Le philosophe nu, sorti en 2010. Je ne vous en dit pas plus pour le moment. Mis à part que sa lecture est un vrai régal. Il y aura très probablement un article à la clef. Affaire à suivre donc...
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Je terminerai ce billet par cette citation qui résume le mieux cette lecture.
"La difficulté aguerrît, stimule, elle oblige à trouver des solutions." Alexandre Jollien