Depuis un long moment maintenant, certaines personnes tentent de formuler une pensée unique qui serait de dire que l'enjeu de l'accessibilité à tous est "trop compliqué","trop cher", "impossible". Une pensée unique acceptée et reprise par le gouvernement et les parlementaires qui ne cessent depuis plusieurs mois de pointer du doigt, dans leurs déclarations et divers rapports, les difficultés et contraintes techniques et financières que représente la mise aux normes d’accessibilité.
Pour le petit rappel, l’obligation d’accessibilité date, en France, de 1975 et n’a pas été suivie d’effets. Trente ans après, le 11 février 2005, une nouvelle loi sur le handicap est adoptée. Elle prévoit notamment que la France (cadre bâti existant, transports…) soit rendue accessible d’ici 2015, sous peine de sanctions. La société doit s’adapter pour accueillir tout le monde, quelles que soient les capacités et déficiences de chacun. Je crois qu'il est essentiel que les intérêts particuliers défendus par les lobbies ne guident pas les pouvoirs publics dans la mise en place de leurs politiques.
Mettons justement directement le doigt sur ce que disent ces lobbies. Car il est important de prendre conscience de l'ampleur du problème. Du danger que de telles pensées soient véhiculées. Je vous laisse en juger par vous-même.
> L’accessibilité, c’est donner de la confiture aux cochons !
« Dans ma commune, on imposait auparavant aux promoteurs de prévoir dans chaque immeuble deux appartements adaptés. Ils se plaignaient du coût : il faut faire, par exemple, des ascenseurs plus larges. Or, nous avons constaté qu’il était beaucoup moins onéreux de prévoir une montée spécifique pour trois ou quatre appartements réservés aux handicapés. D’ailleurs, les handicapés moteurs adultes nous disent souvent qu’ils préfèrent rester entre eux. »
Colette Giudicelli, sénatrice – Commission des affaires sociales du Sénat – 9 juin 2010
Ce que j'ai envie de répondre : Je crois qu'il y a visiblement un malentendu, les handicapés moteurs, pour la citer, ne souhaitent pas obligatoirement rester entre eux. Au contraire ! Et il me semble surtout indispensable que chacun accède aux mêmes droits que les autres. Sans condition et surtout sans discrimination. Vivre comme tout le monde quand on est en situation de handicap peut aussi être un moteur dans la vie. S'isoler ne semble définitivement pas être la bonne solution...
> L’accessibilité, rien ne nous y oblige ! « Je vois beaucoup d’élus locaux qui se plaignent mais qui vont au-devant de problèmes, comme avec l’accessibilité des bâtiments. C’est une folie alors que rien ne nous y oblige encore, il y a des gens qui ont déjà dépensé deux fois le budget de la commune pour qu’un handicapé puisse accéder à leur mairie qui est ouverte une fois par semaine. Donc de temps en temps, il faut savoir faire de la résistance.» Jean-Claude Mathis, député UMP
Ce que j'ai envie de répondre : Il est visiblement indispensable de préciser une chose : ce n'est pas parce que la mairie est peu ouverte qu'elle ne doit pas être accessible à tous. Chacun doit être libre et en capacité de se rendre dans le lieu central de sa ville. De pouvoir aller voter, pouvoir se marier, etc... Quelles raisons valables pourraient justifier du fait que l'accès ne soit pas possible à une personne à mobilité réduite ? Que cela ne servait à rien de faire les aménagements ? Irrecevable !
> L’accessibilité, c’est le désert médical !
La loi sur l’accessibilité des bâtiments pour les personnes handicapées va « accélérer les départs en pré-retraite (des médecins libéraux) ou peser sur la reprise des cabinets dont l’accessibilité va nécessiter des travaux qui ne sont pas toujours réalisables ».
Dr Gilles Tonani, de l’Union régionale des médecins libéraux de Basse-Normandie – Ouest France, 11 février 2012
Ce que j'ai envie de répondre : Je crois qu'il parait évident pourtant qu'un médecin doit être en mesure de recevoir tout type de patient, et en particulier des personnes en situation de handicap. Comment justifier que ces personnes ayant justement besoin de soins réguliers ne puissent pas être reçues par leur médecin ? C'est un non sens à mes yeux. L'accès aux soins doit être le même pour tout le monde. Je crois que la préoccupation n'est pas placée au bon endroit.
Je trouve vraiment plus constructif de montrer que c'est possible plutôt que de perdre du temps à essayer de démontrer par a+b que cela n'est pas faisable. En noircissant délibérément le tableau. Cette façon de faire ne fait pas avancer du tout le débat. Pourquoi ne pas plutôt dépenser cette énergie dans la recherche de solutions ? Je crois qu'il faut arrêter de repousser le problème éternellement. L'accessibilité à tous doit être une vraie préoccupation et surtout une vraie priorité. Car cela touche énormément de monde, petits ou grands. Et je crois même pouvoir dire que cela ne se résumerait pas uniquement aux personnes en situation de handicap mais également aux personnes âgées, aux parents avec une poussette... Au delà de cette loi, il est important de considérer l'accessibilité comme une norme fondamentale de qualité de vie.
Heureusement qu'il existe des personnes qui se sentent concernées par cet enjeu d'accessibilité à tous. Il en faut. Surtout parce qu'il est important de montrer que c'est possible de le faire. Que ce n'est pas si compliqué que cela, quand on y met du sien ! La première des choses essentielles pour moi est de comprendre pourquoi une telle loi est mise en place. Comprendre la problématique. Prendre conscience que beaucoup de personnes en France sont en difficultés quand il s'agit de faire ses courses, se rendre à la pharmacie, se faire soigner, retirer de l'argent, prendre les transports en commun dans sa commune. Et les exemples pourraient encore être nombreux, croyez-moi.
Il y a donc des personnes à qui on a essayé de dire que ce n'était pas possible mais qui ont tenté l'expérience quand même. Et ils ont réussi avec succès, en ne se laissant pas décourager. Je trouve ça beau que des personnes se sentent, d'une certaine manière, investies d'une mission. Mission qui consisterait à offrir les mêmes droits à tous. Quelque soit leur situation. Ils sont commerçants, hôteliers, transporteurs, médecins, architectes… Leur point commun : s’être rendus accessibles. Avant le délai de 2015. Les journalistes du magazine Faire Face les ont rencontrés, aux quatre coins de France, pour savoir pourquoi ils avaient décidé de se mettre aux normes, les difficultés éventuelles rencontrées mais surtout si ça leur avait apporté quelque chose et quoi. Tour d’horizon de ces personnes qui illustrent bien que « l’accessibilité, c’est possible ! »
> « Cela allait de soi que les personnes en situation de handicap aient une complète autonomie. »
Une épilation, un soin du visage ou un massage ne sont pas toujours des petits plaisirs accessibles quand on est une personne à mobilité réduite. Delphine Bossard en sait quelque chose. Dans le précédent institut de beauté où elle était employée, rien n’était prévu pour faciliter l’accueil des clientes handicapées. « J’ai deux amies en fauteuil. Il fallait les porter quand elles venaient pour un soin. »
Aussi, quand elle décide d’ouvrir son propre établissement en 2011, baptisé Enéa, dans le petit centre commercial Plaisance à Orvault près de Nantes (44), la jeune femme entreprend les travaux nécessaires, conseillée par ses amies handicapées. « Je ne me suis pas posé la question du surcoût, 30 % au final. Cela allait de soi que les personnes en situation de handicap aient une complète autonomie. »
Portes des cabines coulissantes et d’une largeur adaptée, comptoir d’accueil à la hauteur requise, elle s’équipe aussi de tables de soins électriques et hydrauliques afin d’en faciliter l’accès, sans oublier douche et toilettes adaptées. « Il faut penser à une somme de petits détails très importants. Les roues de fauteuil glissent sur un sol mouillé, c’est pourquoi j’ai choisi un revêtement de sol en ardoise. »
Aujourd’hui, le bouche à oreille commence à fonctionner. « Cette cliente atteinte de spina bifida vient deux fois par mois pour des soins minceur car elle a des problèmes de poids liés à sa pathologie. Dans mon institut, même les soins s’adaptent au handicap de chacun. »
Texte Claudine Colozzi – Photo Sébastien Salom-Gomis
> « Un pharmacien, ça doit être accessible à tous, c’est logique ! »
En janvier 2010, lorsqu’elle a réaménagé sa pharmacie dans le XIe arrondissement parisien, Danielle Setti en a profité pour mettre son enseigne aux normes d’accessibilité. La marche « d’au moins 10 centimètres » à l’entrée de son officine a été supprimée : l’accès se fait désormais de plain-pied par une porte automatique. « On a maintenant une pente au sol, juste après l’entrée, mais elle est à peine perceptible », souligne la pharmacienne. À l’intérieur, les espaces de circulation ont été élargis et le nouveau comptoir dispose d’une tablette à hauteur pour les éventuels clients en fauteuil roulant.
« Dans mon ancienne officine, cela m’énervait que des personnes ne puissent pas entrer, confie-t-elle. Un pharmacien, ça doit être accessible à tous, c’est logique ! Je ne voulais plus rencontrer ce genre de situation. » Ces aménagements ont donc d’emblée fait partie du projet d’embellissement. Pragmatique, la pharmacienne ne voit pas en quoi ils auraient pu représenter des difficultés techniques ou même un surcoût.
« Quand on refait tout du sol au plafond, c’est quand même simple : on supprime des obstacles ! Et puis, des travaux, ça a toujours un coût au départ, quoi que vous fassiez. Après, vous faites des choix en fonction de votre budget. Regardez les prix du carrelage : ils vont du simple au double ! » Danielle Setti, elle, a opté pour une pente douce qui se fond dans le décor de sa pharmacie.
Texte Aurélia Sevestre – Photo Albin Millot
> « C’est un confort appréciable pour les patients, notamment les nombreux parents avec une poussette. »
C’est l’un des trop rares cabinets médicaux accessibles de France. À Laon, la préfecture de l’Aisne (02). « Nous avons profité des travaux d’extension du bâtiment, en 2011, pour le rendre accessible », explique le docteur Hubert Fricoteaux, qui partage les locaux avec deux confrères, un infirmier et une diététicienne. Jusqu’alors, une dizaine de marches rendait l’entrée inaccessible aux personnes en fauteuil roulant et malaisée à tous les patients à mobilité réduite. Aujourd’hui, une rampe en pente douce permet d’y pénétrer facilement. Des toilettes aux normes ont également été réalisées.
« L’architecte qui a conçu les plans nous a proposé ces aménagements. C’était une obligation légale pour obtenir le permis de construire. Et puis, c’est un confort appréciable pour les patients. Notamment pour les nombreux parents qui viennent au cabinet avec une poussette. » Les patients en situation de handicap restent, en effet, très rares. « Même si ce n’était pas notre motivation, nous pensions qu’ils viendraient au cabinet. »
Les travaux ont été intégralement financés par la société civile immobilière, propriétaire du bâtiment, constituée par les professionnels qui l’occupent. « Je ne connais pas le montant qu’ont coûté les aménagements d’accessibilité. On ne les a pas chiffrés car ils s’inscrivaient dans un projet global. Nous n’avons pas raisonné en termes de surcoût : ces travaux devaient être faits, on les a faits. »
Texte Franck Seuret – Photo Albin Millot