Voilà quelque chose dont je parle rarement. Et encore moins ici. La façon dont la maladie a changé le regard que je porte sur mon corps. Il y a souvent un long chemin entre l'annonce de la maladie et l'acceptation. Si acceptation, il y a réellement. Il est clair que cela prend du temps. Ce n'est pas immédiat, bien au contraire. Ce n'est d'ailleurs pas si évident que cela d'en parler. Mais je crois que j'en ai besoin.
Pour ma part, les premières années n'ont pas été faciles du tout. C'est douloureux de voir son corps changer à cause de la maladie. Se dire qu'il ne sera plus jamais le même. Et que ça peut encore évoluer dans le temps. L'incertitude fout les boules. Un médecin te dit qu'un jour tu ne marcheras plus. Mais ne te dit pas quand. Du coup, quand tu sens ton corps fatiguer, tu te voiles la face et te dis que ce n'est pas possible. Tu vas même jusqu'à pousser tes limites de plus en plus loin. Pourtant, c'est le cas. Tu te fatigues chaque jour de plus en plus et ne peux plus faire les mêmes choses qu'avant.
Un jour, ce même médecin t'annonce que tu devras prendre un fauteuil roulant pour te déplacer. Là, ça en est trop. Tu pètes les plombs. Tu refuses catégoriquement. Il n'en est pas question. D'ailleurs, tu ne comprends même pas de quoi il te parle. Un fauteuil ? Non, pas pour moi. Pas besoin. Pourtant, ce fauteuil débarque dans ma vie. Malgré moi. Contre moi. Parce qu'accepter cet objet dans ma vie est, pour moi, accepter que la maladie prend de plus en plus de place. Et ce constat m'a longtemps mise en colère. C'est simple, vous m'auriez rencontrée à l'époque, vous n'auriez eu qu'un seul mot à l'esprit: colère.
C'est le premier des sentiments négatifs que la maladie a apporté dans ma vie. Je vivais très mal sa présence. Je ne comprenais pas pourquoi cela m'arrivait à moi. Je me demandais ce que j'avais fait de mal pour mériter cela. Je souffrais beaucoup de voir mon corps changer et l'acceptais encore moins. Comment accepter cela à un âge où l'apparence compte énormément ? À cause de cela, je ne me sentais pas jolie. Je me cachais sous des vêtements amples, pour ne pas que les autres voient mon corps. Je pense que j'avais honte de mon corps. Je ne l'acceptais pas. Je ne le trouvais pas beau.
Je me sentais différente et cela ne me plaisait pas du tout. Les autres étaient debout et moi, j'étais obligée de me déplacer assise, en fauteuil roulant. Croyez-moi, voir le monde assis n'a rien à voir. Le rapport aux autres est très différent. Ne plus se mettre debout du tout fait très mal. Sentir son corps dans l'incapacité de le faire est insupportable. Tu as beau essayer de toutes tes forces, rien n'y fait. Nada. Rien ne se passe. C'est fini.
C'est là que la phase d'acceptation a du commencer pour moi. Sans que cela soit forcément conscient sur le moment. Je réalise aujourd'hui que j'ai du faire le deuil de ma personne debout. Pour accepter la nouvelle personne assise. Quelque part, je pourrais considérer qu'il y a moi avant et moi après. Il a fallu faire un long travail sur moi. J'ai du réapprendre à vivre différemment. Car ne plus pouvoir se mettre debout du tout complique considérablement le quotidien. Tu commences à ne plus pouvoir te lever le matin seule, ne plus pouvoir te laver, t'habiller seule. Faire des courses, faire le repas seule devient vraiment compliqué. C'est à partir de ce moment là que j'ai du faire appel à des auxiliaires de vie pour m'aider. Je l'ai très mal vécu au début. Très mal. La dépendance est très difficile à accepter. Cela me rendait triste de ne plus pouvoir faire les choses seule. J'avais mon corps en horreur. Parce que j'avais l'impression qu'il ne me servait plus à rien. J'avais honte de devoir me faire aider. Ne plus faire seule sa toilette est humiliant, au début. C'est très gênant. Même si tu sais que ces personnes sont habituées, que c'est leur métier. Tu as honte, tu n'es pas à l'aise avec cela.
Et puis un jour, tu t'habitues. Le fait de te faire aider au quotidien ne te dérange plus trop. Beaucoup moins en tout cas. C'est comme ça. C'est la vie. C'est ta vie. Tu dois faire avec. Il le faut pour te sentir bien. Aujourd'hui, à trente ans, je n'ai plus honte de mon corps. Je suis en phase avec lui. J'ai appris à accepter mon image. Alors bien sur, ce n'est pas forcément facile tous les jours. Il y a des jours avec et puis il y a des jours sans. Ce que je sais, c'est que malgré la maladie au quotidien, je me sens femme. Je prends soin de moi. J'ai plaisir à choisir de jolis vêtements. D'assortir chaque matin mon maquillage à ma tenue. De porter de jolis bijoux. J'ai appris à me plaire, avant toute chose. Avant de plaire à mon homme. Et d'être agréable aussi pour les gens qui m'entourent. Pour moi, faire attention à soi permet d'oublier la maladie, le handicap. En tout cas, de les estomper. Pour me sentir comme tout le monde. Valide ou non.
Je sais aujourd'hui que la maladie ne m'empêche pas de vouloir plaire. J'aime recevoir des compliments. J'aime me dire que, malgré tout, tout est possible. Au même titre que les autres. Accepter son corps tel qu'il est est essentiel. Cela prend parfois du temps mais c'est quelque chose de déterminant dans la vie. Qui permet de se construire et de s'ouvrir aux autres.
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La beauté peut aller au delà de la maladie.